À la pêcherie d’Alger, les ramendeurs nouent les filets et dénouent les secrets du métier

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Installés entre les piles de filets de pêche, les ramendeurs de la pêcherie d’Alger s’adonnent à la réparation de filets du lever du soleil jusqu’au zénith. De fil en aiguille, ils perpétuent le geste d’un métier ancestral. Comment s’apprend le ramendage ? Ces hommes de la mer répondent de manière évidente : avec patience et dextérité.

« Ce métier est à la fois simple et complexe. Il faut avoir le coup d’œil et le coup de main. Le geste est ensuite le même. Le talent du ramendeur se manifeste dans sa capacité à raccommoder les mailles les plus abimées. On répare en fonction de la déchirure, donc à chaque fois on est face à un nouveau challenge », décrit Kamel, ramendeur depuis une quarantaine d’années.

Assis sur une caisse en bois, sous le soleil printanier de cet hiver, Kamel, que les gens du port appellent respectueusement âmmi Kamel, est connu de tous à la pêcherie. D’emblée il entre dans le vif du sujet, la réparation des filets de pêche est plus qu’un métier pour ce soixantenaire. Fièrement et modestement, il dit n’avoir appris que les métiers de la mer, et qu’il s’agit des plus beaux métiers de la terre.

« Je suis originaire de Dellys, j’y habite encore et je fais la route chaque jour, à part le vendredi. Mes frères étaient des marins et c’est avec eux que j’ai appris la réparation dans les années 80. J’avais à peine 17 ans. A cette époque, la réparation de filets n’était pas un métier à part entière comme aujourd’hui. Chaque marin devait maîtriser cette pratique. Pour ma part, j’ai tout appris sur le tas. J’ai été capitaine, second, mécanicien et ramendeur. J’ai sillonné le littoral et j’ai même travaillé en Mauritanie », raconte Kamel.

Cap sur le métier de ramendeur

Au fil des nœuds, Kamel dénoue les secrets d’un métier peu connu du grand public. Son récit n’interrompt pas son travail. Il répare un filet de pêche de sardine, à l’aide de l’aiguille à ramender. Agile et rapide, il reconstitue les mailles du filet et les renforce.

Plusieurs autres ramendeurs réparent les filets au port. Certains travaillent en solitaire tandis que d’autres en binôme. Kamel est en compagnie de Abdelmoumen, âgé de 37 ans. Deux générations de ramendeurs, mus par la même passion, celle d’un métier au service de la mer. « Les filets de pêche sont achetés en coupons. Donc avant la réparation il y a la couture. Nous assemblons ces coupons pour en faire des filets de pêche. Certains sont flottants, d’autres font fixes. Lorsque le filet de pêche est bien monté, la moisson est riche », affirme Abdelmoumen

Attentif au récit de son aîné, Abdelmoumen appuie les dires de Kamel avec des exemples pour simplifier la compréhension. Ce jeune ramendeur est titulaire du diplôme de « capacitaire à la pêche ». Il dit que les filets de pêche constituent la partie la plus technique de son apprentissage.

« A l’école, on nous apprend beaucoup de choses, notamment le maillage de la nappe. Celui-ci doit être adapté à l’espèce de poissons pêchés. Si on pêche le rouget, la taille de la maille doit être entre 19 à 23 mm. Les mailles de 25 mm permettent de pêcher des petits poissons », détaille Abdelmoumen.

Pour ne pas se perdre dans les détails et le jargon de ce métier, Kamel revient à une base fondamentale : la flottille maritime est constituée de chalutiers, sardiniers et petits métiers. Le maillage des filets est adapté aux espèces ciblées et la technique de pêche. Notre interlocuteur donne l’exemple du chalutier qui doit son nom à sa technique de pêche, à savoir le chalut, qui consiste à traîner le filet en mer et capturer les poissons sur son passage.

Dans les mailles du filet

Entassés devant chaque bateau amarré, les filets de pêche semblent tous pareils. Pourtant, l’uniformité n’a pas sa place dans ce domaine. Kamel le confirme en donnant quelques indications pour les différencier. Il indique que les filets de couleur noire, c’est pour la sardine, le bleu pêche la crevette, etc. Les mailles du filet, en forme de losange, sont dimensionnées en fonction du poisson. La taille du filet dépend de celle du bateau. « Un bateau de 18 m prend un filet de 8000 mailles », précise-t-il.

Pour Kamel, les marins qui travaillent sur les bateaux petits métiers sont ceux qui maîtrisent le mieux les filets de pêche. « Je l’ai toujours dit, celui qui n’a pas fait les petits métiers ne peut se considérer comme marin. Il ne faut pas se méprendre, on l’appelle petit métier à cause de taille qui ne dépasse pas 10 m. Grâce à cette barque, on peut pêcher jusqu’à dix types de poissons et utiliser presque huit filets de pêche », informe Kamel.

Après chaque sortie en mer, les pêcheurs débarquent les filets. Au petit matin, les ramendeurs arrivent munis de leurs outils et commencent à travailler. Chaque capitaine à son ramendeur. Pour Kamel et Abdelmoumen, les filets de pêche nécessitent un entretien au quotidien. Les rochers, les pierres et le soleil les abîment. « Aujourd’hui, le capitaine avec qui je travaille n’est pas sorti, cela ne m’empêche pas de trouver un autre qui a besoin qu’on ramende son filet. Il y a toujours du travail.

Les filets s’usent facilement, on doit donc les rafistoler continuellement », précise Kamel. La matinée arrive à sa fin et le récit de Kamel et Abdelmoumen s’achève. Une dernière question s’impose : quelle est la qualité indispensable au ramendeur ? Ils répondent : la patience et la conscience. « Il faut prendre le temps de bien faire son travail. Chaque maille doit être soigneusement nouée. C’est un travail de grande concentration que seules les passionnés peuvent exercer. »