À Timimoun, le tapis traditionnel retrouve son lustre d’antan après un siècle d’absence

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À Timimoun, Nour El Houda Kadiri porte depuis plusieurs années la noble responsabilité de restituer le métier de tissage de tapis traditionnel. Disparu de la région il y a près d’un siècle, ce patrimoine faisait pourtant la réputation de l’Oasis rouge. À travers l’atelier Tigurarin, Nour El Houda et ses parents ont relevé les défis de retrouver un héritage ancestral.

« L’atelier Tigurarin est le résultat de plusieurs années de recherches. La tâche n’a pas été facile puisque le tapis a complètement disparu. Lorsque nous avons commencé notre investigation, il n’y avait que trois modèles de tapis qu’on a retrouvé entre autres aux musées du Bardo. Aujourd’hui, l’atelier tisse plus de 125 modèles. Le tissage se fait selon les techniques anciennes et notre atelier est le seul en Algérie qui produit de la teinture d’origine végétale », raconte fièrement Nour El Houda.

Mue par la seule volonté de redonner à Timimoun un bien culturel exceptionnel, Nour El Houda Kadiri revient sur les prémices de ce projet.

Son père est le président de l’association Adeafa impliquée dans la protection de l’enfant, l’adolescent et la femme artisane. Adeafa développe en 2003 un partenariat avec l’association TusAlsace France. Au départ la collaboration était dans le domaine environnemental.

Au fil des discussions, les deux associations s’intéressent au tapis de Timimoun dont la fabrication se faisait dans le strict respect de l’environnement. Entre 2003 et 2006, les parents de Nour El Houda, avec l’aide des membres de l’association TusAlsace France, vont d’abord collecter des informations sur ce tapis.

« Le métier de tissage de tapis de Timimoun était l’apanage des femmes dans notre région. Quelques vieilles tisserandes gardaient de mémoire les techniques mais ne pratiquaient plus depuis plusieurs années. On apprend entre autres que le tapis se faisait avec les laines
des moutons vivants. Il est décoré de symboles amazighs et la couleur qui prédominait était le rouge », explique Nour El Houda.

Nour El Houda entreprend des démarches pour accéder aux tapis du musée du Bardo. Une étape importante dans le processus de restitution de ce patrimoine.

« Nous avons pu prendre des photos et analyser les motifs et les couleurs de ces tapis fabriqués dans les années trente. La couleur rouge se fait d’ailleurs avec de la garance, une plante vivace utilisée pour fabriquer des teintures végétales », souligne-t-elle.

Ce sont donc deux métiers qui ont disparu de cette région, le tissage et la fabrication de couleurs végétale. Pour venir à bout de ce projet, dont l’objectif est de redéployer le métier de tissage à Timimoun, il fallait donc former des tisserandes et mettre en place un atelier de teinture.

« Après avoir collecté toutes ces informations, nous voulions coûte que coûte lancer notre projet. Nous avions déjà une association qui est très active notamment dans la formation des femmes au métier de l’artisanat. Grâce aux livres et aux tapis retrouvés, nous avons réussi à déceler quelques techniques anciennes de tissage mais ce n’était pas suffisant.Particulièrement quand il s’agit de reproduire certains motifs jusque-là jamais faits. »

Nour El Houda explique que des formateurs notamment des chambres d’artisanat d’El-Menéa et Laghouat ont commencé à dispenser des formations à partir de 2008, date de création de l’atelier Tigurarin.

Le challenge des couleurs

Nour El Houda confie que parmi les facteurs de disparition du métier de tissage est l’introduction des couleurs chimiques. Celles-ci ont causé des problèmes de santé pour les femmes, qui ont développé des allergies et abandonné le métier.

L’activité de tissage au sein de l’atelier Tigurarin connaît un franc succès. L’atelier est équipé de machines de tissage et de filage de la laine. Une fois cette activité bien assise, Nour El Houda et ses parents tiennent à lancer l’atelier de fabrication de couleurs végétales. Ils contactent les différentes chambres d’artisanat et finissent par trouver une femme à Laghouat qui le fait. Cependant, le savoir-faire n’est pas totalement maîtrisé.

« La réalisation des couleurs se faisait au gré du hasard, puisque la quantité des produits n’était pas bien définie. Comme la couleur rouge était propre à la région de Timimoun, nous n’avons pas trouvé de personnes qui pouvaient la réaliser », précise-t-elle.

Les recherches se poursuivent jusqu’à trouver une tisserande d’origine française qui a appris le métier à Timimoun dans les années cinquante.

« Ce projet est une réelle aventure humaine. C’est à Timimoun qu’elle a appris à réaliser les couleurs avec les produits locaux. Son savoir est une vraie mine d’or pour nous. Cette femme a fait des aller-retours pendant trois ans pour former les tisserandes à la fabrication de la teinture végétale. La formation durait une quinzaine de jours pour apprendre deux couleurs. La personne formée devait travailler pendant une année avant de se former à de nouvelles couleurs. C’est un travail technique qui demande beaucoup d’entraînement », précise-t-elle.

Aujourd’hui, la mère de Nour El Houda est chargée de cette formation à l’atelier.

Tout est dans la nature !

Du rouge, du bleu, du jaune, toutes ces couleurs on les obtient de matières naturelles. Nour El Houda cite les matières utilisées : le henné, pelure d’oignon, bois d’arak connu sous le nom de siwak, la peau de grenadier, le thé, etc.

Le processus de fabrication est le même, à quelques exceptions près. Si autrefois les teinturiers utilisaient des cuves de terre cuite fixées au sol, aujourd’hui ce sont des cuves en inox qui permettent de faire le mélange. Cette matière permet d’éviter l’oxydation, selon Nour El Houda.

La première étape commence par avoir la laine pure du mouton vivant. Une fois cette laine lavée et nettoyée, elle est trempée dans la couleur et portée à ébullition pendant une heure. Il faut ensuite laisser la laine refroidir et égoutter. L’étape qui suit est le nettoyage de la laine à l’eau jusqu’à ce que celle-ci redevienne nette.

« La laine est une matière sensible et vivante, il faut donc laisser un temps de repos après chaque étape. Le tapis de Timimoun est réputé pour sa robustesse, et le secret réside justement dans le processus de fabrication. La laine a des pores comme la peau. En utilisant la technique de mordançage qui consiste à fixer la couleur, ces pores se dilatent et absorbent la couleur. En la laissant refroidir les pores se referment et on doit nettoyer le résidu de couleur. La dernière étape est la transformation de la laine en fil », détaille Nour El Houda.

Ce travail acharné pour revaloriser le tapis traditionnel de Timimoun fait la fierté de la région. Le siège de l’association est intégré dans les différents sites touristiques de la région.

« Nous accueillons quotidiennement les visiteurs. Pendant que les tisserandes travaillent, elles partagent ce savoir-faire avec les touristes. Aujourd’hui, nous pouvons dire que l’activité de tissage reprend à Timimoun. Cependant, nous avons une plus grande mission qui consiste à le promouvoir audelà de Timimoun afin que le métier de tissage de notre région soit reconnu et transmis aux générations futures », conclut Nous El Houda.

L. A.